L’ENFANT ET SA PAROLE EN JUSTICE

Dont Extraits du Rapport 2013 consacré aux droits de l’enfant :

« L’enfant et sa parole en justice »

Chaque année, des milliers d’enfants sont à un titre ou un autre confrontés à la justice de notre pays. Soit il s’agit de procédures  de  divorce  où  malheureusement  l’enfant  devient trop souvent un enjeu pour les parents en conflit, soit il s’agit d’enfants victimes ou encore de ceux qui sont témoins d’actes répréhensibles.  Leurs  paroles  sont  alors recueillies  et  deviennent  des éléments parfois déterminants dans la décision judiciaire qui sera finalement prise.

 Mais rien n’est plus délicat que de mener à bien le recueil de la parole des plus jeunes.

 Parfois fragiles  ou  malhabiles, souvent  évolutifs  au  gré  des  circonstances et des interlocuteurs, les mots des plus jeunes sont une matière indispensable, précieuse pour que le droit soit dit, mais à  manier  avec  la  plus  extrême  prudence.  Quelques  grandes affaires portées par les médias (Affaire d’Outreau notamment), mais également la justice familiale courante en cas de séparations par exemple, ont montré combien le sujet demeurait inexploré et insatisfaisant du point de vue des procédures, même si des avancées – parfois contradictoires – ont vu le jour depuis une dizaine d’années et que des dispositifs protecteurs ont été mis en place.

Les enfants se sentent souvent perdus dans le monde de la justice.

Et ce n’est pas le moindre des enjeux que de toujours considérer l’enfant comme un sujet capable de penser, d’avoir une opinion personnelle, d’être capable de « discernement » plutôt que comme un objet dont disposeraient les adultes.

Ainsi est-il de la fonction des  adultes  d’aider  l’enfant  à forger ce discernement, de lui éviter d’être manipulé, voire instrumentalisé par ceux qui se dédouanent de leurs responsabilités éducatives en projetant les enfants trop jeunes dans un univers d’adultes, là où ils ne savent pas évoluer en sécurité.

 Mais souvent, la parole de l’enfant dérange les professionnels qui l’entendent.

Nous l’avons déjà dit, l’enfant capable de discernement peut être entendu par le juge et cette  audition  est  de  droit lorsque l’enfant en fait la demande (article 388-1 du code civil). Cette demande est fréquente auprès du Juge aux Affaires Familiales lors des séparations parentales.

Pour autant, la mise en œuvre de ce droit bute sur l’appréciation du discernement de l’enfant faute de critères et de pratiques homogènes, créant des déceptions et des inégalités de traitement chez les enfants qui demandent à être entendus.

Quelle que soit la nature de l’intervention de l’enfant, quel que soit le domaine juridique concerné – justice pénale ou justice des affaires familiales – des mesures particulières et protectrices doivent être mises en place par les pouvoirs publics pour le recueil de la parole de ces enfants.

Et tout d’abord, cela passe par un lieu dédié et non anxiogène, comme c’est déjà le cas dans certaines juridictions (mais pas dans toutes!), où l’enfant s’exprime dans un endroit neutre, détaché de l’espace judiciaire ou policier.

Trop souvent, au cours des auditions et rencontres, il a été constaté des pratiques disparates qui fragilisent la prise en compte de la parole de l’enfant.

C’est pourquoi un effort particulier doit être porté sur la compréhension que l’enfant a du monde judiciaire: à 6, 12 ou 15 ans, la justice entendue dans son sens le plus large est, au mieux, une inconnue, au pire un être protéiforme  et  incompréhensible, au  vocabulaire  abscons.  L’enfant  ne  peut  évaluer  l’enjeu  et l’impact de ses dires.

Il  est  donc nécessaire  qu’un  ensemble  de  documents  de  nature diverse, adapté à leur âge, soit mis à la disposition des plus jeunes pour leur apporter toutes les explications nécessaires sur les raisons de leur audition et l’usage éventuel qui peut en être fait.

Dans une démocratie évoluée, il est aussi indispensable que l’intervention de l’enfant dans le monde de la justice soit encadrée, audible par les professionnels et rassurante pour les enfants, (avocat d’enfant par exemple).

Cependant, en regard de la manière dont se déroulent généralement les auditions d’enfant et les conclusions qui s’en suivent, on peut se demander si la société française est prête à accepter que l’enfant soit une personne à part entière, qu’il ait des droits, et que naturellement, il les exerce ?

S’il paraît important de laisser l’enfant et sa parole en justice prendre leur place dans la sphère judiciaire, les procédures et  l’approche des professionnels concernés a entraîné des mouvements d’opinion divers. Ils ont contribué à semer le doute et à déconsidérer cette parole. Elle est  pourtant  l’expression  d’enfants  victimes,  d’enfants  dont la famille éclate, d’enfants qui ont été témoins de faits interdits et qui, tous, sont ébranlés par une épreuve personnelle.

Il serait bon également de faire connaître à l’enfant, avec pédagogie, ce que devient la parole qu’il a exprimée devant la justice :

 • Lorsqu’un enfant ou un adolescent a été entendu dans une procédure judiciaire, civile comme pénale, il est rare que les termes ou les motifs de la décision finale du magistrat lui soient expliqués de façon à ce qu’il les comprenne vraiment.

Cela peut être source de confusion pour l’enfant et, partant, de défiance à l’égard de la justice :

 - Lorsque la décision du Juge aux Affaires Familiales, après audition de l’enfant à propos du souhait de mode de vie exprimé par l’enfant, ne correspond pas à son intérêt.

 - Lors d’une décision du Juge des Enfants en matière d’assistance éducative après audition de l’enfant.

 - Lors d’un classement sans suite ou une décision de non-lieu après une enquête dans laquelle le mineur a été entendu comme victime d’agression physique, psychologique ou sexuelle, et que, par exemple, les preuves réunies n’ont pas permis de poursuivre l’auteur présumé.

 Il n’est pas rare alors que l’enfant ou l’adolescent interprète la décision de justice comme le fait que ses propos n’ont pas été pris en considération et n’ont pas de valeur.

 Le magistrat, l’avocat de l’enfant, le délégué du procureur ou les services éducatifs auraient alors à expliquer oralement à l’enfant les décisions judicaires des procédures qui le concernent dans des termes clairs, adaptés à sa compréhension.

 • Lors de l’audition de l’enfant par le Juge aux Affaires Familiales, l’article 338-12 du code de procédure civile impose l’établissement d’un compte rendu soumis au principe du contradictoire.

Mais les observations menées par la Défenseure des Droits de l’Enfant montrent une diversité de pratiques dans l’établissement de ce compte rendu et dans l’information qui est donnée à l’enfant.

La Défenseur du Droit des Enfants propose alors d’inciter les Juges aux Affaires Familiales, sous l’impulsion de la chambre de la famille, à harmoniser leurs pratiques afin d’éviter des inégalités de traitement entre les enfants, d’assurer le respect du principe du contradictoire, de protéger l’enfant contre l’instrumentalisation de ses propos.

Il n'empêche, la  disparité  des  motifs  justifiant  les  délégations  d’audition  ainsi  que  des  modes  opératoires vient affaiblir l’intérêt d’une telle pratique.

Les magistrats ont aussi leur part de responsabilité, en utilisant souvent « le pilotage automatique », en se contentant de prendre des décisions stéréotypées. Dans chaque situation, il convient de ne pas faire du « prêt-à-porter », mais il est essentiel de faire du « sur-mesure ». Il est primordial de faire preuve d’imagination dans la décision, pour tenir compte de chaque situation familiale.